Fanon, l’éveil des consciences par le cinéma : quand l’image réveille l’Histoire et interroge l’humanité

Dans une salle comble, où le silence avait la densité de l’émotion, le film consacré à Frantz Fanon a fait bien plus que dérouler des images : il a réveillé les mémoires, secoué les consciences et rappelé que l’Histoire, même ancienne, continue de résonner dans nos corps et nos esprits.
« Ce que tu ne peux pas souhaiter à l’autre, tu ne peux pas le souhaiter pour toi-même », a lancé avec gravité une voix lors des échanges qui ont suivi la projection. À travers ce long-métrage, c’est toute la complexité de l’héritage colonial, des combats pour la dignité et de l’amour de la patrie qui s’illumine. Un cinéma qui ne fuit pas la douleur, mais en fait un langage.
Jean-Claude, le réalisateur, a livré une œuvre façonnée dans la patience, la recherche et l’introspection. Dix années ont été nécessaires pour concevoir ce film dont quatre pour écrire le scénario, et trois à attendre les financements, ralentis par la pandémie. « Je voulais faire un grand film de cinéma, pas un documentaire. Un film où la lumière, le silence, le cadre, les comédiens nous hypnotisent pendant que la pensée de Fanon s’infiltre en nous », confie-t-il avec humilité.
Curieusement, le tournage fut la partie la plus fluide du processus. « C’est comme si tout avait été préparé en amont. J’ai eu une équipe incroyable autour de moi, des talents venus au bon moment, comme ce chef opérateur de 32 ans qui a su capter cette lumière que je cherchais depuis des années. »
Mais au-delà d’un film, c’est un appel à la réflexion. Larissa , sociologue de la santé présente à la projection, partage son bouleversement : « Je n’ai pas pu dormir. Ce film, c’est la mémoire vive de nos ancêtres, les traumatismes encore visibles dans nos comportements. C’est un outil d’éveil, un rappel que des hommes et des femmes ont donné leur vie. Et que nous avons un devoir de mémoire. »
Fanon, c’est cette voix brûlante, puissante, mais aussi complexe. « Faire un film sur lui, ce n’est pas livrer une biographie ponctuée de dates et de faits », explique Jean-Claude. « C’est entrer dans sa psyché. Explorer son monde intérieur. »
À la question : « Pourquoi maintenant ? », il répond que le moment était venu. Après des années de cinéma engagé, il avait construit un langage, une posture, une force suffisante pour aborder Fanon. « Depuis mon premier long-métrage, je savais que j’allais parler de lui. Tous mes personnages noirs ont toujours été droits, fiers. C’est Fanon qui m’a donné cette verticalité. »
Les spectateurs n’ont pas été épargnés : l’assassinat d’un enfant, une scène de torture, les blessures de l’intime. Tout dans le film est conçu pour nous confronter à notre humanité, sans détour. Et pourtant, c’est aussi une œuvre de réconciliation. « Ce film ne vient pas attiser les tensions entre la France et l’Algérie. Il vient pour rapprocher. Pour rappeler que nous avons un destin commun. »
Parmi les nombreuses questions posées, l’une a particulièrement marqué : « Avons-nous eu le courage de repenser nos sociétés à partir de nos propres valeurs ? Ou avons-nous simplement repeint les murs d’un système hérité ? » Jean-Claude répond, non sans douleur : « Nous sommes encore en construction. Mais ce film est la preuve que nous ne sommes pas perdus. Qu’il reste des âmes qui croient encore en la fédération, en l’humanité, en la culture. »
Oui, Fanon est revenu sur grand écran. Non comme un héros figé, mais comme un homme, un père, un psychiatre, un militant, un penseur. Un être complexe et vivant. Et grâce à ce film, son héritage continue de tracer le chemin vers un monde où l’on apprend à se comprendre, à s’aimer, et à rêver d’une humanité plus juste.